Plusieurs approches spirituelles ont parsemé mon chemin. Mais aucune d’elle n’a tenue la route. L’idée n’est pas ici de dénoncer, décrier ou « basher » comme on dirait en bon québécois.
Quoique si, un peu.
Mais c’est surtout de tenter d’illustrer à quel point la Vie est plus forte que l’esprit.
Mon enfance s’est vécue dans la joie de la tradition catholique. Contrairement à plusieurs de mes contemporains je n’ai pas eu une relation à couteau tiré avec cette tradition. Et les raisons pour lesquelles j’ai fermé la porte à la spiritualité n’ont rien à voir avec la tradition elle-même.
Lorsqu’on m’a précipité tête première dans la spiritualité à nouveau, la porte d’entrée fût celle du yoga. Après quelques temps, j’ai eu à retourner à mes racines chrétiennes, question de faire la paix avec tous les préjugés que j’entretenais face à celle-ci. Comme bien des gens, j’étais corrompue de ce discours main stream, fortement polarisé, qui est incapable de faire la part des choses. J’avais à y retrouver le beau de ce que j’y avais vécu, voir la richesse des enseignements derrière le dogme, comprendre la profonde unité dont elle est porteuse, au-delà de ce que les institutions en ont fait.
Le cheminement en yoga m’a lentement conduit vers l’advaita, ou si vous préférez, la non-dualité. De nos jours cette tradition s’est beaucoup dilluée, comme à peu près toutes les traditions qui ont été récupérées par la spiritualité moderne, qui aime à réinterpréter les choses et les amalgamer avec d’autres approches. Qui cherche à réinventer la roue quoi… D’où l’origine de la dérive que je m’apprête à vous exposer.
Grossièrement, on peut dire qu’il existe plusieurs « portes d’entrée » au cheminement spirituel. Comme celui-ci part de l’individualité, on peut l’envisager ici sous trois angles principaux: Le corps, le coeur et l’esprit. J’en proposerai ici une 4ème, soit celle qui part de ces 3 aspects en même temps, dans une sorte de rébellion de l’ensemble de l’être, une dépossession du corps et de l’esprit par l’individu qui la subit. C’est ainsi que se sont passées les choses en ce qui me concerne. Mais vous savez déjà tout cela, puisque j’en ai beaucoup parlé. Si j’y reviens c’est simplement pour mettre le tout en relation avec les 3 approches à travers lesquelles j’ai cheminé:
Le yoga qui est une approche qui offre une porte d’entrée à travers le corps;
Le christianisme qui offre une porte d’entrée à travers le coeur;
L’advaita, qui offre une porte d’entrée à travers l’esprit.
Donc, si le yoga m’a permis de retrouver un rapport plus sain, plus équilibré et surtout plus conscient de mon corps ainsi qu’à lentement mais sûrement me réapproprier celui-ci, le christianisme lui m’a permis de m’ouvrir et de pacifier la réalité de mon coeur. Quant à l’advaita? Et bien, cette approche m’a permis de voir les beaux et les moins beaux côté de l’esprit.
Bien sûr, j’ai vu la grande sagesse des traditions orientales. Comment celles-ci, à travers ses fondements philosophiques, se sert de l’intellect pour venir à bout du mental. Qu’on parle de bouddhisme, des sutras de Patanjali (sorte de « bible » du yoga) ou de l’advaita, ce sont toutes des approches qui tendent vers l’intériorisation et l’observation des fluctuations du mental. L’advaita, en outre, apporte des pratiques qui visent à questionner le « Je Suis », la source et l’origine du mental, la nature de la Conscience, etc.
Mais… peu importe l’approche choisie, aussi belle et aussi noble soit-elle, elle ne pourra résister à la Vie. Tout ce qui nous ouvre à quelque chose de nouveau, quelque chose de beau ou même d’éclairant, est un apport indéniable. C’est la Vie elle-même, ce que certaines traditions appellent le « Souffle » ou le « Pneuma », qui nous pousse dans une nouvelle direction, qui veut élargir notre vision.
Sauf que…
La tradition Tantrique Shivaïte du Cachemire nous explique que la Conscience n’est pas une illusion, un simple rêve, sans aucune consistance. Elle n’est pas un Absolu pénétré de lumière, détaché des phénomènes, tel que le décrit le Védenta (dont l’advaita tire ses origines). La Conscience est liée à l’activité, au mouvement et la vibration. Elle se trouve emplie de désirs en la nature d’une conscience en actions. Elle se trouve affectée par sa propre liberté et ne cesse de jouer avec son énergie qui lui révèle sa propre personne.
Dans cette tradition, la triade (ou équivalent de la trinité chrétienne) s’exprime par le symbole du Trident de Shiva. La pointe la plus haute de ce trident se trouve être le désir même. Le désir, nommé aussi Volonté Autonome du Seigneur, se trouve être la clé de voûte de la voie Shivaïte.
Dans cette voie, il s’agit plutôt de reconnaître quel est le sens donné à ce désir, quelle est son essence. Pour ce faire, il convient de purifier les désirs en canalisant cette belle énergie au centre de soi-même.
C’est la voie de la Kundalini-Shakti, une voie que je ne peux renier, parce que, avant même de lire une seule ligne de cette tradition, c’est la pratique qui s’est installée d’elle-même, en moi-même, au cours des dernières années. Je n’ai pas passé les dernières années à observer mes pensées mais bien la circulation et le travail de cette énergie en moi. Qui se ramenait un peu plus chaque jour au centre, d’elle-même. Tout ce que j’avais à faire était de m’abandonner à cette énergie.
Alors, même si la Vie m’a conduit vers différentes approches et me les a fait visiter, à chaque fois c’était pour m’en montrer toute la beauté mais aussi les limites. Me montrer que tout prenait déjà place en moi, que tout procédait de/du Soi et que je n’avais qu’à m’incliner devant cette puissance intérieure et la laisser me guider.
Vers la Paix, vers le Silence, vers la Joie, vers l’Amour.
Je n’ai pas eu besoin de lire très longtemps le shivaïsme du Cachemire pour y voir une profonde vérité. Pour y voir aussi des dérapages dans certaines de ses pratiques… La Kundalini-Shakti n’est pas quelque chose à éveiller, elle est déjà active en chacun de nous et il vaut mieux la laisser choisir d’elle-même le moment de sa conscientisation au sein de l’espace personnel.
Ce qui semble aussi se perdre de vue en cette ère de modernisme spirituel.
Il se passe donc avec le Shivaïsme du Cachemire le même genre de dérive qui se passe ailleurs dans les pratiques qui sont associées à cette tradition, lorsqu’elles sont récupérées par des gens qui s’improvisent un peu trop rapidement maîtres de celles-ci. Mais c’est un autre point. J’en traiterai brièvement plus bas avec les fameuses activations de Kundalini.
***
La Vie ne se maîtrise pas.
Pas plus qu’elle ne se décrit et ne se comprend réellement.
Mais surtout, elle ne se passe pas dans la tête…
Or, c’est là que demeurent longtemps les actuels pratiquants et enseignants de cette non-dualité moderne, qui est en train de passer d’une sorte de neo-advaita à un advaita new age…
Plusieurs acteurs du milieu spirituel et de la psychologie analytique ont pris position au cours des dernières années pour dire que cette tradition pouvait être sujette à des by-pass. Et c’est totalement vrai. Elle peut créer des mécanismes de dissociation ainsi que toutes sortes d’autres planques dans les plans du mental, de l’intellect ou de la conscience. Je n’irai donc pas plus loin sur ces aspects qui ont déjà été discutés par d’autres.
Ce que je vois de plus en plus poindre d’un angle subtil et pernicieux, c’est la récupération du jargon, du vocabulaire non-duel qui, disons-le, est une sorte de gymnastique qui a ses propres termes et tournures de phrases. Lorsque l’exercice est intellectuellement compris, il est très facile de le récupérer et le véhiculer. N’importe qui de moindrement intelligent peut y parvenir.
Cette récupération donne lieu actuellement à une pléthore de nouveaux acteurs sur la scène spirituelle, qui projettent sciemment l’image d’être réalisé/e quand ce n’est pas qu’ils l’annoncent officiellement. Ils vous parlent abondamment de la joie et la liberté d’être soi, de l’absence du personnage et déroutent toutes oppositions en se servant de ce jargon, qu’ils maîtrisent si bien, à l’endroit de leurs détracteurs et opposants. Quand ce n’est pas qu’ils leur disent quoi faire ou comment être.
C’est très accrocheur, très vendeur aussi. Cela attire un auditoire encore à l’étape de la quête, ainsi qu’un auditoire impatient qu’on leur donne une recette miracle pour aller plus vite.
Mais cela repose aussi sur un très grand « je m’enfoutisme », très peu de responsabilisation et d’ouverture face à autrui. Beaucoup de copinage aussi, entre amis éveillés, qui continuent d’évoluer en petits cercles restreints où on s’écoute beaucoup parler. On brille sur le web, attire beaucoup d’abonnés, vend de nombreux ouvrages et affichent les retraites à guichet fermé.
Mais en bout de ligne, il y a très peu d’actions et d’outils concrets pour tendre la main à la souffrance de son prochain. On retourne les adeptes à une histoire dont il faut absolument se débarrasser. Comme si le passé était une vilaine plaie qui suppure sur un membre qu’il faut amputer plutôt que traiter.
Cela m’ennuie profondément (dans le sens de bailler aux corneilles) de voir des gens se prendre la grosse tête d’avoir atteint un état qui n’existe que… dans leur tête justement.
Parce que si la réalisation du Soi est une reconnaissance, une prise de Conscience, qui part effectivement de l’esprit au départ, elle peut bien vite être récupérée pour s’en revêtir.
Ce qui est dommage c’est que cette récupération et cette déformation du jargon non-duel à des fins qui demeurent somme toute très égoïstes, tue tout ce qu’il y a de plus beau dans notre humanité. C’est ce qui se passe lorsqu’on demeure planqué dans l’intellect à jouer avec les idées.
Détenir des réponses n’est pas nécessairement signe d’un grand avancement dans la vie. Pour avoir œuvrer une bonne partie de ma vie à partir de l’intellect, je peux personnellement témoigner que celui-ci demeure un excellent gardien du seuil. Tel un cerbère aux portes de l’enfer, il peut très bien réduire votre vie à un petit cercle d’initiés et ne laisser personne entrer qui puisse remettre en question votre façon de voir les choses.
Le marché de l’éveil, au final, devient de plus en plus un copier-coller du mouvement « woke ». Où l’on cherche finalement à uniformiser la spiritualité selon notre bon vouloir, plutôt que de s’ouvrir et de diffuser toute la diversité de l’expression humaine et ainsi accueillir le point de vue divergent. Tout cela demeure pour moi qu’une profonde négation à véritablement embrasser la réalité telle qu’elle est, et vouloir rendre tout poli, gentil et parfait.
Ce qui est en fait exactement ce que nous reprochions aux religions!
🙄
Quoiqu’on en dise ou quoiqu’on en pense, on ne peut renier qu’à l’heure actuelle ce courant n’a pour effet, pour plusieurs, qu’à les amener à jouir des plaisirs de la vie ou à plonger dans une sorte de vague passivité. Mais rarement à s’investir et s’impliquer.
Parce que vouloir agir est et sera toujours pour ces gens, une façon déguisée de mettre de l’avant le personnage ou l’ego. Et nos tentatives de leur dire qu’ils se gourent récupérées de la même façon.
Tant qu’il ne sera pas vu que le véritable amour n’existe pas sans réciprocité et sans effort de parts et d’autres, sans difficultés quoi, ils resteront planqués dans leur conscience à se croire éveillés et se dire que l’amour n’est qu’accueil et complète liberté à laisser l’autre être ce qu’il est. Que chacun de nous sommes très bien et qu’il n’y a aucun effort à apporter pour améliorer la qualité de nos relations ou l’état général de ce monde.
Récemment, je déplorais sur une plateforme, le phénomène des activations de Kundalini qui ont lieu dans certaines retraites, qui laissent les clients seuls à eux-mêmes par la suite. Un peu de la même façon que les cérémonies et rituels d’Ayahuasca ou autres substances psychotropes utilisées en spiritualité moderne. Si je dénonçais ce phénomène, ce n’est pas pour me faire voir ou me rendre intéressante. C’est parce que je me suis retrouvée avec certaines de ces personnes devant moi, avec qui j’ai partagé l’impuissance, le désarroi et que j’ai tenté d’accompagner du mieux que je peux. Je pourrais très bien me taire et profiter de la manne que cela m’apporte.
Mais non…
Or, très rapidement, je me suis retrouvée avec quelqu’un qui commentait que tout est parfaitement orchestré sur notre chemin spirituel et qu’il n’y a rien à y changer ou y modifier.
Bien sûr… Dans l’Absolu, même les guerres et les génocides permettent de rééquilibrer les forces en présence. Même le réchauffement climatique et le Covid ont leur raison d’être. Mais faut-il pour autant demeurer là, assis passivement à ne rien faire et laisser la Vie agir?
Certes non… Et c’est là que le non-dualisme moderne se met un doigt dans l’œil jusqu’au coude.
Parce que la Vie, c’est à travers nous qu’elle agit.
***
Aujourd’hui, bien que je fasse état de ce que je considère comme des dérives, je ne peux que déplorer de voir ces gens s’enfoncer plus à fond dans une nouvelle illusion, sans pouvoir réellement me sentir concernée.
J’aimerais l’être d’avantage, mais à quoi cela servirait-il?
Si tous ces gens croient savoir et avoir compris… Qui suis-je pour contredire ces grands éveillés?
Personne.
Je suis ce que je suis.
Réalisant un peu plus chaque jour à quel point je ne sais rien.
Vraiment.
Je n’ai plus donc rien à transmettre. Rien à enseigner, même si j’ai eu pendant un temps la prétention, moi aussi, que si. Je ne suis pas différente de ces gens et j’ai aussi cru un long moment, que c’était ça la Vérité.
Mais… Cette énergie, cette puissance de Vie, là tout en moi, me fait maintenant voir les choses autrement.
Je vis au jour le jour, tente d’avancer, d’accompagner, de partager, de faire de mon mieux et de ne pas trop nuire. J’agis selon cette Vie là tout à l’intérieure, qui me porte et me guide. Les élans, tout autant que la paix partent du coeur et l’amour me porte à chaque instant. Je ne cherche plus à voir plus loin que la pureté de cet instant et ne me pose plus de questions.
Si j’ai le goût de dénoncer et pointer du doigt, je le fais. Sans avoir la prétention que ma petite sortie changera les choses pour autant.
Je suis redevenue cette enfant joyeuse et qui savoure la vie. Je n’ai plus aucune envie de me percher dans l’intellect. Parce que c’est là que j’ai passé toute ma vie et que cela ne m’a pas que servi.
Pour le reste, j’ai d’autres chats à fouetter. Des proches à aimer, ce qui n’est pas toujours facile et aisé, un chien à m’occuper. J’apprends à tous les jours quelque chose de nouveau, m’émerveille de la simplicité du quotidien. Une simplicité que j’avais perdu de vue et qui me donne plus que jamais le goût de tendre la main et d’aider ceux et celles qui ne la voient plus.
Mais je ne force plus rien, parce que l’amour ne veut rien forcer.
Pour moi, la non-dualité c’est terminé. Je ne renie pas le bien fondé et l’utilité de cette approche et ne la rejette aucunement. Mais je ne peux m’y limiter et préfère embrasser la dualité et la diversité de ce monde que j’aime profondément.
Donc, quelle est l’utilité de ce texte?
Celle que vous y trouverez
Parce que tout sur le chemin spirituel est parfaitement orchestré…
😉
Votre commentaire